Compte-rendu d’exposition : Les mondes souterrains. 20 000 lieux sous la Terre, Musée du Louvre-Lens, 27 mars 2024-22 juillet 2024

Par Enola Pellegrini

Après Les Animaux fantastiques, mis à l’honneur à l’occasion de la précédente exposition, le Louvre-Lens consacre la présente aux Mondes souterrains. Cette exposition force de nouveau, par sa thématique, l’intérêt pour des mondes et des créatures imaginées, fantasmées, mais également à des histoires plus récentes qui s’inscrivent sous la surface du sol.

Alexandre Estaquet-Legrand, Jean-Jacques Terrin et Gautier Verbeke, tous trois commissaires de cette exposition, proposent une présentation à la fois de l’image, des conceptions, et des réalités qui sont celles de mondes souterrains tels qu’ils nous apparaissent depuis la naissance des premières mythologies, jusqu’au XX^e siècle. La scénographie et le parcours tracent une évolution plus ou moins chronologique de l’exposition ; bien que des retours à l’Antiquité soient opérés au cours du parcours, la fin est bien marquée par une arrivée dans l’époque contemporaine. Si l’exposition tâche de traiter de son sujet de façon diachronique et d’en proposer une interprétation large, les territoires extra-européens sont peu mis en avant dans cette exposition qui concentre surtout son regard sur le monde européen, jusqu’à resserrer son étau sur la région du nord de la France.

On peut distinguer trois temps dans le parcours de cette exposition. Tout d’abord, ce sont les mythologies et les arts qui sont mises en avant pour illustrer l’idée et l’imaginaire qui ont existé sur les mondes souterrains – et qui existent encore -, espaces fantasmés plus qu’explorés pendant de nombreux siècles. Puis, c’est l’exploration et la réelle découverte de milieux hostiles à l’Homme qui est présentée, avec la naissance de disciplines comme la géologie et la spéléologie. Enfin, le dernier temps de l’exposition est consacré à une forme d’appropriation des souterrains, retraçant une histoire régionale du travail dans les mines, puis de l’installation des premières lignes de métropolitain. L’arrivée dans l’ère contemporaine permet ainsi de rattacher l’exposition à une histoire qui est celle du nord de la France.

Des mondes fantasmés, entre peur, fascination et forces protectrices

Si le parcours de l’exposition se veut être chrono-thématique, plusieurs espaces géographiques et périodes se mêlent dans les premiers temps, consacrés aux représentations des mondes souterrains, en particulier dans les arts figurés. Ainsi, l’entrée dans les profondeurs de la Terre se fait progressivement, par le biais de quelques failles visibles à la surface, jusqu’aux plus lointaines profondeurs.

Jean-Augustin Franquelin, Vue d’une grotte, milieu du XIXe siècle, huile sur toile, Paris, musée du Louvre

Nous découvrons en premier lieu les crevasses de quelques grottes qui ne semblent pas encore immergées sous la terre, de simples ouvertures où persiste la lumière du jour, avant de disparaître pour laisser place à des fonds plus sombres, éclairées par une lueur semblant venir non plus du haut, mais du bas. Ces jeux de lumière, et de clair-obscur, intéressent les artistes tels que Hubert Robert ou Jean-Augustin Franquelin, qui peuvent mettre à l’épreuve leur technique, en représentant des paysages de roches, entre nature hostile et ruine anthropique.

Camille Boiry, Dante aux Enfers, 1899, huile sur toile, Tours, musée des Beaux-Arts

Souvent associés au mal dans les mythes, les mondes souterrains sont la demeure de forces maléfiques et de divinités chtoniennes dans les mythologies païennes, et de Satan dans la chrétienté. Mais c’est surtout l’absence de lumière naturelle, dans un milieu éclairé par les flammes ou des feux grondants sortant des profondeurs qui construit l’image que nous avons des mondes souterrains, des mondes infernaux largement empreints d’une iconographie chrétienne, représentée par Dante dans sa Divine Comédie, de nombreuses fois illustrée par des artistes. Mais ils peuvent aussi incarner des forces bienveillantes, protectrices, illustrées par les représentations de divinités telles que Mithra, ou bien dans les décors grotesques qui ornent les jardins italiens à partir de la fin du XVI^e siècle.

Relief mithriaque, marbre, IIe siècle de n.-è, Paris, musée du Louvre

L’exploration et le développement des sciences de la Terre

La deuxième partie du parcours laisse davantage place à une conception plus savante, voire scientifique, du milieu souterrain, que l’Homme commence à explorer avec le développement des sciences de la Terre et de la géologie. Cette connaissance grandissante du milieu souterrain appelle l’enthousiasme de tout le monde savant pour la question, mais également celui d’un public de lettrés plus large.

La découverte des profondeurs de la Terre suscite la curiosité et est dépeinte avec une précision très renseignée, bien qu’imaginée, par Jules Verne dans le Voyage au centre de la Terre. Dans sa « maison-laboratoire » à Amiens, l’auteur s’attache en effet à construire un voyage fantastique qui semble bien réel aux lecteurs, par l’exactitude des données qu’il écrit, sur les roches étudiées par le personnage, sur la morphologie de la croûte terrestre ou sur l’activité volcanique.

Ainsi, l’exploration et la découverte des mondes souterrains, et la naissance de sciences appliquées à leur étude, continue de se mêler au fantastique et à la fiction. Bien que cette référence littéraire n’apparaisse pas dans l’exposition, nous pouvons ainsi également penser à l’œuvre de Tolkien, qui convoque, au milieu du XX^e siècle, la mythologie nordique pour imaginer un monde souterrain dans les montagnes, creusé de mines et de galeries, celui des Nains et des Gobelins.

Des milieux hostiles appropriés par les hommes

Le monde sous terre est aussi très souvent associé à la mort. Dans de nombreuses cultures et croyances, il est en effet le monde des morts, parce qu’il accueille les tombeaux des défunts, des cercueils de simples hommes aux sarcophages de grands rois.

Plusieurs millénaires plus tard, les souterrains sont appropriés par les sociétés et l’industrie, en particulier dans le nord de la France, par le biais de l’exploitation de mines de charbon, au fond desquelles de nombreux travailleurs sont victimes des effondrements, éboulements et coups de grisou. Enfin, l’exposition évoque également, le quotidien des soldats de la Première Guerre mondiale dans les tranchées, qui deviennent le tombeau de nombre d’entre eux.

Cette dernière partie de l’exposition en vient alors à se focaliser sur l’histoire régionale qui est celle de l’industrie minière du nord de la France, encore visible par les terrils qu’on aperçoit depuis le musée. Le travail dans les mines marque au XIX^e siècle le début d’une véritable appropriation du milieu souterrain, à l’échelle industrielle. Celle-ci s’accentue davantage au XX^e siècle avec la construction des lignes de métropolitain dans les grandes villes européennes comme Londres, Paris, Vienne, mais encore Lille.